dimanche 5 septembre 2021

Visa pour l'image

Perpignan, mercredi matin, une (jolie) étape sur la route pour Visa pour l'image. Nous avons dormi dans l'unique parking exploitable que nous avons trouvé. Et nous avons été étonnés par la circulation dans la nuit : des voitures, des motos, des cyclistes, des coureurs avec des brassards lumineux, des promeneurs de toutes sortes qui s'aèrent tard et ne se lèvent pas trop tôt.

 

C'est sans doute trop tôt pour la foule quand nous partons ce matin. Perpignan elle-même s'avère accueillante pour le fourgon. C'est toujours bien tranquille quand on accède au festival. L'affluence viendra tout à l'heure, durant l'après-midi quand nous serons encore et toujours au couvent des Minimes où il y a tant à voir. Des expositions tellement diverses. On finirait par s'y perdre entre les travaux de Munier, de Bouvet parmi les photographes célèbres, les récits de réfugiés, de déplacés et d'autres guerres, et puis quelques récréations avec les mariages à Haïti, le Portugal...


La photo est-elle toujours triste au risque de n'avoir rien à dire ? Une des questions posées à Eric Bouvet par un membre de l'assistance quand il nous présentait 40 années de grands reportages en une salle et demie, une question sans réponse comme celle de savoir pourquoi il risque sa santé et parfois sa vie dans les coins les plus chauds.


C'est lui qui le dit : quand il s'est confronté à la famine, il n'a pas réussi, victime d'un véritable déni vis à vis de la situation qu'il voyait. Le mur de Berlin, il n'en a pas rapporté de bonnes photos, trop impliqué émotionnellement par cet événement qui semblait être le début d'une nouvelle Europe. 

La peur, elle doit rester bloquée au niveau du ventre et ne pas monter à la tête. Mais il admet que la tête le travaille quand même et le corps se souvient. L'enthousiasme est là ainsi que l‘énergie indispensables pour réussir. La culture, la réflexion, c'est mieux et il ne ferait pas les mêmes photos, et pas de la même manière qu'il y a quelques dizaines d'années. La solidarité lui fait citer des confrères. On voit qu'il possède bien le milieu. Même avec ces atouts, il n'a plus eu de commande depuis 10 ans. Il vit d'expos, de livres, de workshops. Et puis des vieilles photos ressortent pour les livres d'histoire alors qu'elles n'avaient jamais été publiées : fierté du photographe.

Et cette nouvelle génération de photographes dont il parle, qui l'inspire, qui travaille avec davantage de recul et plus d'empathie ? Je n'ai pas bien compris comment il la définissait : plus objective ?


A côté, les expos se succèdent. Le Bengladesh se noie et ses habitants perdent leurs terres ou leur toit. La Syrie, l'Arménie, le Birmanie, le Tigré, l'Éthiopie, Gaza souffrent ici aussi alors que l'esthétique des images de Munier frise avec la déco. Les chasseurs de trophées s'amusent au Texas ou paient très cher en Afrique, les Ameriguns collectionnent des arsenaux, les seniors du sport partagent leur enthousiasme, la cinquième République montre ses faiblesses, le télétravail se vit entre Bali et chez soi, et le Portugal, et les mariages pour une autre image d'Haîti, et ce que j'aurai oublié.

 

D'ailleurs, nous en aurons tant vu... Il faut bien s'arrêter en un moment. Nous revenons le lendemain pour la Syrie vie par des photographes locaux, certains mus par l'urgence de témoigner. Ces photos au plus près des habitants, elles nous ont beaucoup plu. On y a peut-être (pas sur) perdu un peu de professionnalisme mais le point de vue horizontal adopté ici apporte fraîcheur et provoque l'empathie

Une empathie ressentie aussi lors de la conférence avec Abidjian sur l'Arménie où les trois intervenants étaient pointus et nous étions assez ignorants.

A travers les écrits qui accompagnent les photos en Syrie, dans les discours des photographes plus âgés comme Abidjian et davantage reconnus comme Bouvet, la notion d'engagement est systématique. On a ressenti une urgence de la part des Syriens à documenter leur environnement meurtri, à faire savoir aux autres, à faire connaître pour après. La prise en compte de l'histoire, Bouvet l'évoque aussi avec le respect dû aux personnes photographiées dont l'image perdurera.

Et nous apprenons l'existence d'un festival off. Les tirages, le cadre ne sont pas les mêmes : des tirages sans verre et moins soignés, des galeries de circonstance dans des bistrots ou le centre d'art contemporain pour des œuvres de provenances très diverses. C'est la fête de la photo.