jeudi 30 avril 2020

Coronapente glissante 12


Au début, je n'y ai pas cru. Autour de moi, ceux qui se protégeaient étaient peu nombreux. Et puis ce fut dimanche, il faisait beau et nous sentions de manière encore un peu confuse que les temps allaient bientôt changer, en pire. Certaines régions étaient déjà cruellement touchées. Au bureau de vote, les assesseurs et les votants s'astreignaient à des précautions d'éloignement et de désinfection qui entreraient rapidement dans nos habitudes. C'était notre dernier jour de socialisation de proximité. Après, nous aurions les réseaux sociaux, les apéros vidéos éventuellement, un coup de fil de temps en temps...

Parce que le temps du confinement est venu très vite après celui du vote. Comme si, de leur point de vue surplombant, nos gouvernants n'avaient pas été plus perspicaces que moi, comme s'ils n'avaient pas su comment réagir à ce qui venait d'au-delà des frontières, là où on souffrait déjà.


Puisque nous n'avions pas réagi à l'avance, nous avons été sévèrement confinés. Un isolement que nous avons bien accepté dans l'urgence. Il fallait nous protéger, il fallait protéger les personnes les plus fragiles de cette pandémie et de la saturation des hôpitaux qu'elle provoquait déjà. Ce fut brutal, sans égards pour les difficultés que pouvaient éprouver certains. Le langage est devenu martial et il y avait déjà des sacrifiés pour le bien de la majorité.


Même si nous avons vite compris que le manque de prévoyance et les atermoiements de nos décideurs n'arrangeaient rien, nous avons respecté le confinement. Et les forces de l'ordre se chargeaient de nous en rappeler le caractère obligatoire, du moins pour ceux qui n'étaient pas requis pour faire vivre le pays.


Parce que c'était extraordinaire, le courrier, les poubelles, l'énergie, les provisions, le pays fonctionnait à peu près. Nous en avons repensé l'utilité sociale des professions - en plus pour certaines ou en soupçons de parasitisme pour d'autres. Nous avons applaudi ces soignants que nous n'avions pas su soutenir auparavant, ceux-là qui se débattaient désormais dans des hôpitaux démunis par... par ceux qui n'avaient pas su anticiper mais demeuraient autoritaires et indécis, parfois menteurs et systématiquement exigeants, même dans leurs contradictions.


Le déficit de moyens des hôpitaux, le manque de masques et la comédie de leur (in)utilité, rien de tout ça n'a été reconnu, avoué. Et on a accentué la pression sur la population dans un volontarisme contagieux : après avoir mobilisé des hélicoptères et leurs équipages pour faire la chasse aux randonneurs solitaires, des préfets se sont distingués avec des déclarations obscènes, des gardes à vue ont été prononcées contre des particuliers qui affichaient leurs opinions sur des banderoles, certains maires ont limité les sorties à 10 mètres ou interdit les bancs publics dans une sorte de concours lépine du décret liberticide.


Au bout d'un mois de confinement, nous avons bien fini par comprendre que nous étions un troupeau à encadrer, à contenir, même quand le chef-berger semblait avoir enfin abandonné sa rhétorique guerrière. Les dissimulations portaient désormais sur les tests. Nos bergers sont encore des gestionnaires qui restent dans la réaction (tardive ?) aux événements et peinent à sortir de leur sidération pour dessiner un avenir, confondant volontarisme et bonapartisme, gestion et rétention décisionnelle, science et politique, plus compétents pour manipuler des finances théoriques que des situations complexes de crise.


Reconnaissons que cette compétence ne s'apprend pas facilement. J'aurais néanmoins souhaité souhaité davantage de modestie et d'anticipation, un brin de contrition et une nouvelle aptitude au dialogue, à la confiance, à la recherche de l'implication de tous après ces semaines de communication verticale dictée autant par l'habitude que par l'urgence... Il s'agit maintenant de nous dessiner un avenir. Pas celui-ci.


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